Yep ! Histoire d'inaugurer la médiathèque, voici un premier texte.
Il est possible qu'il y ait quelques petites répétitions, je suis un peu fatigué et ma relecture se fait en diagonale.
Bon courage et surtout, bonne lecture !
N'hésitez pas à laisser vos impressions.Le chapiteau des oubliés
« Ce soir dans votre ville, le dernier Hors la Loi ! »
Les insignes multicolores scintillaient de ce message publicitaire à chaque coin de rue. Enfants comme adultes s’extasiaient devant l’annonce, attendant avec impatience la tombée du jour pour participer à cet évènement, le dernier en son genre. Moi, j’étais dans un fourgon blindé, accompagné par deux représentants des forces de l’ordre aux bras aussi épais que mes cuisses. La tête posée sur le recoin de la vitre, j’essayais de capter quelques résidus de ce que l’on osait autrefois appeler liberté.
Les heures passaient lentement, sans perturber ma sérénité face à la tournure que prenait mon destin. Au grand damn de mes geôliers, je ne me débattis pas lorsqu’ils me sortirent du fourgon pour m’emmener vers le grand chapiteau, ce théâtre de mauvais goût qui ainsi, sonnerait dans peu de temps la fermeture du rideau sur ce dernier acte, la triste conclusion d’une vie de combat acharné. Orwell avait vu venir cette chute avec certes quelques siècles d’avance, mais l’humanité était bien sur le point de s’écrouler comme un château de cartes de plus en plus en proie aux vents de l’ignorance. Pas à pas, j’arrivais dans le chapiteau. Puis peu après, dans un couloir dans lequel mes accompagnateurs me poussèrent brutalement. Je tombai par terre et dans le même instant, entendis les lourdes portes se fermer derrière moi. Le couloir était faiblement éclairé par des néons de mauvaise qualité accrochés au plafond. Je ne voyais presque rien, si ce n’est des caméras, présentes sur chaque pan de mur, n’oubliant aucun angle mort. Un bruit assourdissant m’oppressait de part et d’autre. Les hurlements de la foule dont chaque pair d’yeux était rivée sur l’écran portatif parcourant le chemin des Hors la Loi.
Les Hors la Loi, c’était nous. Le dernier bastion de liberté, l’héritage d’une culture oubliée. Ou plutôt, c’était moi, étant le dernier survivant. Les souvenirs de ces dernières années remontaient le fil de mes pensées et étaient sur le point de me faire sombrer jusqu’à atteindre les méandres de ma mémoire. Mais je n’avais guère le temps de tergiverser sur les évènements du demi-siècle précédent, déjà une voix enthousiasmante résonnait dans le chapiteau, crachée par les hauts parleurs, faisant taire automatiquement le bruit assourdissant qui régnait jusqu’alors :
« Mesdames et messieurs, soyez les bienvenus à cette dernière représentation du cirque des Hors la Loi ! »
Les hurlements de la foule reprirent, accompagnés par le battement féroce des pieds sur le sol. Le peuple voulait du spectacle. Il voulait du sang, de la violence. Il cherchait une victime qui soulagerait sa conscience du poids de sa lourde déshumanisation. Fier de son effet, le commentateur reprit :
« Ce soir encore, c’est un homme qui s’est élevé contre la loi de notre belle patrie qui sera mis à mort ! Il est la dernière menace terroriste existante ! Dans deux heures, nous n’aurons plus aucun souci à nous faire pour notre sécurité ! »
La foule reprit de nouveau son vacarme tapageur jusqu’à ce que le commentateur annonce :
« Fidèles à notre habitude, nous appellerons des spectateurs au hasard et ces derniers choisiront les pièges mis sur le chemin du Hors la Loi ! »
Ils me dégoûtaient. Tous autant qu’ils étaient. Je me demandais s’il existait encore quelques personnes se rendant compte de l’horreur du quotidien. C’était il y a trois siècles. Période pendant laquelle l’Amérique a étendu son règne jusqu’en Europe, en proie à la peur d’être devancé par la Chine. Leur technologie de pointe n’avait laissé aucune chance à leur bien faible adversaire. En réalité, la société européenne avait tellement été américanisée que cela ne dérangeait personne de changer de gouvernement. Alors, jour après jour, les livres, la culture et l’humanité sont tombés aux oubliettes. Quel rôle pouvait-on donc leur attribuer ? Ils ne créaient plus rien, si ce n’est un peu de réconfort dans l’esprit de quelques personnes comme moi, devenues hors la loi, pour des raisons tantôt mystérieuses tantôt honteusement inventées par le système. Nous n’adhérions pas au conformisme qui s’était vautré paresseusement dans le canapé de l’irraison.
Sans prévenir, un des derniers hits du moment venait d’ouvrir le bal macabre. Le public jubilait, se levait et dansait de joie en me voyant avancer dans l’arène. J’essayais de ne pas trembler, de me souvenir de toutes ces discussions sur la mort auxquelles j’avais pris part avec ceux qui m’avaient accompagné jusque là. Mes maîtres, mes confrères, un amour. J’essayais de surmonter la peur de la mort, comme l’aurait fait courageusement Hemingway. Pourtant, Hemingway s’est suicidé. Pourtant, moi, je tremblais. En m’éloignant du troupeau, la vie avait pris un goût de sirop d’érable qui m’était cher, une odeur de vanille du profond Mexique, j’étais devenu libre dans un système où chaque citoyen était enchaîné. Et cette liberté, on me la reprenait une cinquantaine d’années trop tôt. J’entendis le commentateur appeler un spectateur, lui demander quel premier piège mettre sur mon chemin. Le spectateur lui répondit :
« celui-là ! Histoire de faire durer le spectacle. »
Je refoulais mes larmes de rage, car imbécilement, je ne voulais pas m’écrouler devant la déchéance, il fallait leur montrer par mes actes ce à quoi j’aspirais, ce dont le monde avait besoin. Le langage allait être abandonné et moi, dans un ultime effort, je décidais d’essayer de transmettre mes idées par ma mort.
Mes pas me menèrent bientôt au bout du couloir qui débouchait sur deux autres chemins. J’entendis des bruits dans celui de gauche. Des chuchotements, des gouttes d’eau qui s’étalaient en résonnant sur le sol, des ricanements lubriques… Une multitude de bruits. Ils étaient destinés à affoler le condamné, à lui retirer le peu de courage qui lui restait alors. C’était pourtant simple, avant de nous voir nous noyer dans un bain de sang, le public voulait qu’on tombe par terre, épuisé, il voulait qu’on se torde de douleur et qu’on gémisse dans une longue plainte d’abandon. Le divertissement en était arrivé à ce niveau de débauche. Ne sachant pas ce qui m’attendait dans le couloir de droite, je pris la décision de suivre les bruits. Il fallait que je sois impassible, faire face à la mort et à la peur était mon échappatoire. Alors je ralentis le pas, petit à petit, jusqu’à m’arrêter. Je cherchai des yeux une caméra, en trouvai une et me mis devant pour la fixer d’un regard accusateur, essayant de faire passer à travers ce concentré de technologie tout mon ressenti, toute la soif de vie que je portais en moi. Je voulais leur faire comprendre qu’il ne fallait pas se laisser diriger par toute cette machination. Le bruit assourdissant du public faiblit petit à petit, ne comprenant pas ce que revendiquait cet homme qui le regardait de ses yeux brillants. Au bout de quelques secondes, le mécontentement dû au manque d’action se fit entendre et la direction se vit obliger de refouler ma tentative de rébellion. J’entendis la porte principale s’ouvrir et un grognement résonner derrière moi. Ça y est, ils lâchaient le fauve, cette bête qui, forte des années d’accumulation de rage du fait de sa soumission envers l’homme, ne demandait qu’à tuer et à revenir à son rôle originel, celui du carnassier dominateur.
Ma mission n’était pas terminée, alors je courus de plus belle à travers le dédale des couloirs. J’essayais d’oublier ce qui était sur le point de se passer, de me rappeler du passé. Le bonheur réside dans les souvenirs. Je me souvenais cet amour clandestin qui naquit il y a deçà trois années. Je me souvenais des réveils dans le peu de nature restant, délaissée par l’homme, ces réveils dans la délicate rosée matinale où deux yeux me regardaient mystérieusement, où un sourire se dessinait lentement sur ce doux visage. Je me souvenais de ces sous terrains dans lesquels nous vivions, se satisfaisant de peu. Enfin, je me souvenais de l’arrivée de l’armée dans notre nid où nous ne faisions de mal à personne mais qui, cependant, était un danger potentiel pour l’Etat. Je me souvenais de ma fuite à travers les arbres, les larmes aux yeux, abandonnant derrière moi tout ce qui m’était cher et tout ce qui avait fait de moi ce que j’affirmais être aujourd’hui : un homme libre.
Le grondement du fauve se rapprochait, j’entendais de nouveau le commentateur faire appel à des spectateurs pour mettre en place de nouveaux pièges. Ainsi je courrai, évitant de justesse les pièges clichés mais si affriolants pour le peuple que sont les haches à double tranchant tombant du plafond, les puits sans fond présents à différents endroit de cet infini labyrinthe et bien d’autres idioties moyenâgeuses. Le fauve, toujours plus proche, ne me laissait aucune possibilité, je devais courir… Courir aussi vite qu’après cet incident dans les sous terrains. Les militaires avaient retrouvé ma trace en peu de temps, et le lendemain j’étais déjà capturé. Je n’aurais jamais dû fuir, c’est ce qui causa ma séparation du reste de ma famille, de mes amis. Mon destin était scellé pourtant, je le savais. Mais que voulez-vous, l’homme ne peut s’empêcher de fuir lorsqu’il se retrouve face au désespoir.
Cette fois, je ne fuirai pas. Sentant l’haleine de la mort me rattraper à une allure trop rapide pour mes jambes, je m’arrêtai soudainement, de nouveau face à une caméra. Je savais ce qu’attendait le public. Le désespoir précédant la mort, le rictus de souffrance qui tord le visage des condamnés. Alors je puisai dans tout ce qui me restait d’énergie et de courage, levai la tête un peu, et esquissai un sourire fébrile et timide, un sourire qui s'affirmait de seconde en seconde, le même que celui dans la rosée des champs. Le sourire de l’espoir, le sourire de la joie, le sourire de la liberté, le sourire qui portait l’héritage d’une humanité oubliée, le sourire qui à jamais resta sur mon visage même après que le fauve m’ait déchiqueté à coup de griffes.
Oui, ce sourire-là était impérissable.